Par Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat,chercheur
spécialisé en migration
Lors
de sa dernière visite officielle en République Tchèque ( 23 et 24
juillet 2015) au cours de laquelle il a été notamment reçu par le
président tchèque Milos Zeman et par son homologue Lubomir
Zaoràlek,Salaheddine Mézouar,ministre marocain des affaires étrangères
et de la coopération,a donné une interview à Radio Prague ,dont le
contenu a été reproduit par le site WakeUp .Parmi les thèmes
abordés,figure la nouvelle politique migratoire du Maroc et la
proposition de l'Union Européenne d'ouvrir au Maroc des camps de
réfugiés.En réponse à une question à ce propos,le ministre avait
notamment répondu :
Le "niet" du Maroc
"Jamais
le Maroc n'installera un camp de réfugiés sur
son territoire.Ce n'est pas dans l'esprit et la culture du Maroc.Le
Maroc est un pays d'accueil de l'immigration subsaharienne.On était un
pays de transit.on ne l'est plus.On est un pays qui intéresse de plus en
plus les pays africains et leurs citoyens.En 2014,nous avons intégré
plus de 20.000 personnes de l'Afrique subsaharienne,qui bénéficient des
mêmes droits que les Marocains.Nous continuons à le faire en 2015.La
vision du Maroc est totalement différente de cette vision là.Le Maroc a
apporté une forte contribution pour freiner l'immigration clandestine
parce que derrière,il y a des mafias et des réseaux.Le Maroc a dons
assumé sa responsabilité vis à vis d'un partenaire stratégique comme
l'Europe pour freiner,à ses frais et avec ses moyens,l'immigration
illégale. L'Europe a rarement contribué à tout ce qui a trait à
l'immigration subsaharienne,Donc le Maroc ne s'inscrira jamais dans cet
esprit.Vous imaginez un camp de
réfugiés ? Je pense que ce n'est pas une idée ingénieuse.Autant
l'éviter..."
Sur la question principale des centres de
réfugiés,c'est clair et net,sans ambiguïté aucune.En cette période de
vacances estivales,cet aspect de la déclaration du ministre marocain des
Affaires étrangères,ne peut passer inaperçu au niveau des
chancelleries,ainsi que du tissu associatif préoccupé par la protection
des droits des migrants et des réfugiés,aussi bien dans les pays du
Nord,que ceux du Sud.
Clarifications nécessaires
Entendons
nous bien.Le Maroc a certes besoin de l'établissement d'une procédure
nationale équitable,transparente et clairement identifiée de
détermination du statut de réfugié.La loi y afférent est toujours
attendue dans le cadre de la nouvelle politique migratoire du
Maroc,impulsée par le Roi Mohammed VI en septembre 2013,et pour répondre
aux obligations dû
Maroc liées à sa ratification depuis bien longtemps,non seulement à la
Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés
et à son protocole du 31 janvier 1967,mais également au niveau régional à
"la Convention de l'Organisation de l'Unité Africaine régissant les
aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique"adoptėe le 10
septembre 1969.
Mais autre chose serait la mise en place de camps de réfugiés sur le territoire marocain.
Retour sur d'anciens projets de l'UE
Cette
dernière option résulte en fait de différents projets de l'Union
européenne tendant à l'externalisation des demandes d'asile,à la
délocalisation de leur procédure et à la dénaturation de la Convention
de Genève,en permettant aux Etats membres de l'UE de fuir les
engagements conventionnels qu'ils ont souscrits.Le but ultime de ces
pratiques est un véritable
détournement et dévoiement du droit humanitaire,en empêchant la
traversée des migrants et des demandeurs d'asile subsahariens qui
tentent de gagner l'Europe,et en faisant éviter aux dispositifs
nationaux des pays européens de supporter la besogne de l'accueil des
demandeurs d'asile et d'examen de leurs demandes.
Ces tentatives
européennes d'externalisation des politiques migratoires et des
procédures d'asile sont déjà anciennes,La première formulation est dûe à
Tony Blair,au Conseil européen de Thessalonique (juin 2003),avec la
proposition de mise en place des "zones de protection
régionales"(régional protection aéras) où on pourrait transférer les
demandeurs d'asile afin d'y voir leur demande examinée.Ces zone de
protection peuvent être installées dans des régions de provenance de
réfugiés comme le Maroc,la Turquie ou l'Iran.
La Suède et la
France s'y ėtant opposės,l'idée fut reprise un an plus tard,en été
2004,avec une initiative italo-allemande,consistant à créer des
"portails d'immigration" ou des"centres d'asile" dans les pays d'Afrique
du Nord,dont le Maroc et la Libye,afin d'empêcher la traversée des
migrants et des demandeurs d'asile subsahariens qui tentent de gagner
l'Europe.Le but est de mettre en place des structures pour bloquer les
migrants soit dans les pays d'origine,soit aux frontières de l'U.E,en
attendant l'instruction de leurs requêtes.
Le "verni" humanitaire
Dénommés
par la suite "centres d'accueil" à vocation humanitaires,ces espaces ne
devaient pas moins constituer en fait des lieux
d'internement,d'enfermement pour parquer,trier et renvoyer des personnes
qui gênent en Europe et surtout pour la plupart d'entre eux,qu'ils
n'atteignent pas le territoire européen.En effet,le 15 décembre
2004,dotée de un million d'Euros,dont 80% par la Commission européenne
et
20% par le gouvernement néerlandais,une convention fut signée entre
l'UE et le Haut Commissariat aux Réfugiés ( (HCR.Son objet était le
renforcement institutionnel concernant l'asile en Afrique du Nord,avec
la mise en place de cinq projets "pilotes",couvrant chacun un des cinq
pays maghrébins suivants:Maroc,Mauritanie,Algérie,Tunisie,Libye.Cette
convention donnera lieu notamment au lancement de deux études par le
Réseau Euro-Méditerranéen des droits de l'homme ( REMDH,basé à
Copenhague)
En vue "d'humaniser" ces centres,cette convention
donnera lieu également en novembre-décembre 2005, à la formation
"ASILMAROC",initiée dans le cadre de la politique d'externalisation de
l'asile (phase préparatoire) conduite par la Commission européenne et
mise en œuvre par une action complaisante du HCR.Cette formation s'est
faite sous la houlette d'une association française,la CIMADE ( service
œcuménique d'entraide) basée à Paris et une
association marocaine basée à Khouribga,l'AFVIC ( Association des Amis
et Familles des Victimes de l'Immigration Clandestine),afin de former
les acteurs associatifs au Maroc pour le suivi vigilant du respect des
droits de l'homme dans la gestion des centres d'accueil et pour les
"humaniser".
Européocentrisme
Cette
démarche était en réalité une forme d'europeo-centrisme consistant à
transposer au Maroc l'expérience française,consistant à créer des
centres de rétention ou d'enfermement des étrangers irréguliers,mais à
les observer de l'intérieur par des ONG ( la CIMADE en particulier) au
niveau du respect des droits fondamentaux.En clair,cela voulait dire
politiquement,que ces centres d'accueil sont viables et acceptables,à la
condition que des ONG de la société civile suivent à l'intérieur de ces
espaces le respect des droits de l'homme !!!
Mais en
fait,il s'agissait moins d'assurer la protection des demandeurs d'asile
que de protéger l'Europe et de lui éviter l'arrivée des demandeurs
d'asile.En d'autres termes,au lieu de protéger les réfugiés,l'Europe se
protège d'eux en lançant un processus de "sacralisation" des frontières
externes de l'UE et en renforçant l'idée d'une Europe en danger.Cet
alignement des ONG citées précédemment sur la politique
d'externalisation de l'asile par l'UE,a entraîné l'implosion de la
Plateforme migrants ( PFM Maroc),structure fédérative de défense des
droits des Subsahariens au Maroc...
Ceci n'a pas empêché qu'au
même moment- oh paradoxe !- l'idée de ces "centres d'accueil" fut
rejetée officiellement par le Maroc.Mais elle est remise sur le tapis à
chaque occasion par l'UE comme en 2015,ce qui a amené le ministre
marocain des Affaires étrangères à déclarer à Prague,que c'était une
"idée non ingénieuse à
éviter"...
Ne pas confondre causes et conséquences
Le
ministre a eu raison de montrer l'antagonisme entre cette idée et la
nouvelle politique migratoire du Maroc,consistant en particulier à mener
une opération exceptionnelle de régularisation des "sans-papiers"
principalement subsahariens,et à leur assurer une insertion intégrale au
plan socio-économique,éducatif,culturel, voir même politique,en
accordant à certaines conditions,le droit de vote aux élections
locales...
Mais on se démarquera des raisons invoquées par le
ministre pour justifier cette nouvelle politique migratoire,qui comprend
également une mise à niveau institutionnelle et juridique en la
matière.Il s'agit plus d'une politique dictée par l'impératif de
solidarité avec les pays subsahariens en particulier et le nécessaire
respect des droits de l'homme,que pour faire plaisir ou rendre service à
l'UE,en
empêchant par une fonction de délégation et de soutraitance
sécuritaire,l'accès des Subsahariens au territoire de l'UE.
Rappelons
nous en effet le discours royal du 6 novembre 2013,à l'occasion du
38éme anniversaire de la Marche Verte.Le Roi Mohammed VI invitait le
gouvernement à "élaborer une nouvelle politique globale,relative aux
questions d'immigration et d'asile,suivant une approche globale,relative
aux questions d'immigration et d'asile,suivant une approche humanitaire
conforme aux engagements internationaux du Maroc et respectueuse des
droits des immigrés".
A notre sens,cette formulation renvoie à
l'ensemble des instruments internationaux de protection des droits de
l'Homme ratifiés par le Maroc et notamment : le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques,le Pacte international relatif
aux droits économiques,sociaux et culturels,la Convention contre la
torture,la Convention des droits de l'enfant,la
Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination
contre les femmes,la Convention internationale pour la protection des
droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs
familles et la Convention de 1951 relative aux réfugiés,ainsi que son
Protocole additionnel de 1967.
Non aussi à l'accord de réadmission !
Le
"niet" marocain exprimé à Prague,appelle à notre sens et sur le même
registre,une autre clarification sur le chapitre de la réadmission,qui
concerne selon Bruxelles,non seulement les Marocains "irréguliers "en
Europe,mais également les "illégaux" étrangers en Europe qui auraient
transité par le Laroc.Les responsables de l'UE devraient bien
comprendre,une fois pour toute,que le Maroc ne peut également pour des
raisons de respect des droits de l'homme et de sauvegarde des intérêts
géo-stratégiques du pays ( principalement le dossier de son intégrité
territoriale ),signer l'accord communautaire de réadmission que l'UE
cherche à lui imposer,moyennant pressions et chantages divers depuis le
début de ce siècle,et enrobé depuis le 7 juin 2013 dans la "Déclaration
conjointe établissant un Partenariat pour la Mobilité entre le Royaume
du Maroc et l'Union européenne et ses États membres".
Le Maroc ne
peut,au même moment,suivre une nouvelle politique migratoire humaniste à
l'égard notamment des Subsahariens et traiter ces derniers de manière
répressive dans la cadre de ce projet d'accord de réadmission,même si sa
signature est assortie de facilitation dans les procédures d'octroi des
visas aux Marocains par l'UE... Ce qui prime,c'est la vision à long
terme et non pas la prise en considération d'intérêts à courte
vue,motivés notamment dans le domaine migratoire par des préoccupations
politiques immédiates,qui aménent des responsables et acteurs politiques
à surdimensionner
la démarche sécuritaire et à caresser dans le sens du poil leur opinion
publique pour des raisons électoralistes..
Discours du Trône 2015
C'est
le sens que l'on donnera à cette vision exprimée jeudi dernier par le
Discours du Trône 2015,s'agissant des relations euro-marocaines : "En
tant que partenaire stratégique de l'Europe,le Maroc appelle à la mise
en place d'un partenariat équilibré et équitable transcendant les
intérêts conjoncturels étriqués".
Dans ce même discours,le Roi
Mohammed Vi a mis également en relief le fait que dans les dossiers
mondiaux qui se posent à la planète,comme celui de l'immigration,le
Maroc a eu "un engagement constructif".Dans cet esprit,les rencontres
internationales abritées par le Maroc dans ce domaine,constituent une
parmi les "manifestations qui témoignent de la confiance et de la
crédibilité dont notre pays jouit à
l'échelle internationale."
En définitive,s'agissant des "centres
de réfugiés" et du projet d'accord euro-marocain de
réadmission,répétons encore une fois et encore ce qui suit. Alors que le
Maroc plaide ( et devrait encore à notre sens,renforcer sa
communication) en faveur de son initiative baptisée "Alliance africaine
pour la migration et le développement",qui vise entre autre une vision
africaine commune sur la migration,les principes humanitaires,la
promotion et la protection des droits fondamentaux des migrants et des
réfugiés,ainsi que la consolidation au niveau régional,inter-régional ou
global de la synergie entre la migration et le développement,on ne peut
au même moment du côté européen,pousser le Maroc à suivre dans le
domaine migratoire,une démarche antinomique avec cette logique humaniste
et cette volonté de renforcer la concertation et l'action commune,les
avantages de la migration et ses effets.
Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat,chercheur
spécialisé en migration
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